Philippe BERRY

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Philippe Berry (1956-2019) à Paris.

En 1974, Philippe Berry entre à l'ESAG, école de dessin met de Penninghen. Il travaille d'abord comme graphiste, ensuite comme maquettiste,  puis comme directeur artistique dans différentes agences de publicité. 

En 1980, il crée des affiches pour le cinéma, puis des décors de théatre (Nuit d'ivresse, l'ex-femme de ma vie, cuisine et dépendances, solo, partenaires, un grand cri d'amour…)

En 1984, et parallèlement à ses activités, il se lance dans la peinture, puis se consacre à la sculpture à partir de 1988. 

Dans ses œuvres on ressent la recherche plastique autour de matériaux différents et des forces physiques, comme l’équilibre. L’artiste joue sur le contraste de la lourdeur et de la légèreté avec sa sensibilité ironique.

Son travail rencontre rapidement un très grand succès, et Philippe Berry effectue des commandes institutionnelles, telles qu'une sculpture fontaine pour l'Ambassade de France au Zimbabwe ou une sculpture monumentale pour le multiplex Pathé de Marseille.

Lisez l'interview de Philippe Berry en bas de page!

 

 

Livre Philippe Berry

INTERVIEW PHILIPPE BERRY par HERMINE NAUDIN – Janvier 2012 

 

 HN :    Philippe Berry, qu'est-ce qui fait que l'on devient artiste ? 

 

 PB :     C’est vrai que c’est une bonne question que l’on se pose rarement au début et sur laquelle d’ailleurs je ne me suis jamais vraiment attardé. Si j’essaye de vraiment comprendre ce qui a tout initié, je me souviens qu’à mes débuts quand j’étais graphiste et publicitaire, je plaçais très haut la condition d’être artiste. En effet, comme si cette profession était attachée à un autre temps et qu’aujourd’hui on ne pouvait plus l’être. 

C’est à cette époque alors que je n’avais qu’une vingtaine d’années, j’étais déjà sensible au mouvement comme les nouveaux réalistes avec Nikki de Saint Phalle, Arman, César , le POP ART et entre 80-90, avec l’arrivée de la Figuration Libre, avec des gens comme di Rosa, Combas, de ma génération m’a amené à me dire que « je pourrais faire artiste »… 

Le fait même de s’inscrire dans notre société en tant qu’artiste nous pousse à un questionnement fondamental : Suis-je réellement un artiste ? Et alors même que je semble l’être aux yeux de tous, peut être ne le suis-je pas en fait… 

La force de cette condition est dans cette confusion. Et cette confusion est « vachement » importante. Par exemple il y a des gens qui  savent très bien faire des choses et qui ne sont pas pour autant artiste, et des gens qui ne savent rien faire mais qui sont « vachement » artistes. 

Ainsi se questionner sur sa condition d’artiste est importante et conditionne peut-être même le fait d’en être un intrinsèquement. 

Dans mon éveil à l’art  je me suis très vite aperçu qu’à mes débuts j’avais « tâté » de tous les milieux de la création : le graphisme, la décoration, la publicité. Un peu comme si en ayant épuisé tous les domaines gravitant autour de l’art je me suis finalement aperçu qu’en commençant à vouloir être artiste en fait j’en étais un, mais je ne le savais pas encore. 

 

 HN :    Comment ce projet artistique s’inscrivait dans l’époque qui a soutenu les prémices de votre création ?

 

PB :     C’est finalement le genre de chose que l’on découvre peu après, en effet ma préoccupation première était déjà celle de me trouver moi-même et de savoir qui j’étais. 

Une fois que j’ai su cela et que je savais que j’assumais pleinement mon écriture et ma conception des choses, c’est là que j’ai cherché à voir où je me situais. Là, en regardant autour de moi j’ai découvert et je me suis aperçu que j’étais atypique de tout ce qu’il se faisait. Ainsi je ne m’inscrivais ni dans les avant-gardes, ni dans un mouvement qui existait déjà.

En fait je ne sais pas où je suis ; je suis atypique, je suis singulier.

 

 HN :    Qu'est ce qui vous inspire ?

 

PB :     Ce qui m’inspire, c’est moi tel que je suis. Et c’est donc l’enfance, les jeux, les jouets, non pas par nostalgie, mais bien au contraire par joie et par envie. Voilà en fait c’est dans la question de « l’envie » : j’ai envie d’avoir un jouet alors je me le fait. C’est vraiment comme çà que çà se passe. C’est exactement comme si j’étais devant une vitrine d’un magasin pour enfants et que je décidais de me fabriquer mes propres jeux.

 

 HN :    Quand vous avez débuté aviez-vous des mentors?

 

PB :     Quand j’ai débuté j’ai eu un mentor « archi » déterminant pour moi. Il s’agit de Bernard Lamarche Vadel qui était un grand critique d’art et qui m’a aidé à remettre de l’ordre dans mon travail. Quelques part comme si au fond de moi j’avais « cette chose » innée, mais qui étais en désordre et dont je ne savais pas trop comment gérer le « truc », tout ce bazar, toutes ces histoires que j’avais en tête. Et lui, m’a permis de vraiment bien remettre les choses droites dans ma tête, entre autre avec toutes mes questions liées à l’histoire de l’art.

Mais surtout il m’a aidé à me trouver, à être moi même, parce que c’est fondamentalement çà en fait d’être artiste, c’est arriver à être soi-même.

HN :    Est ce qu’il y avait une méthode ? 

PB :     La joie, trouver du plaisir en le faisant, c’est surtout çà.

HN :    Et la quantité de travail aussi ? 

PB :     Oui, en effet que cela ne soit surtout pas une dilettante, que çà soit un vrai travail, avec une vraie discipline. C’est à partir du moment où l’on accepte la discipline et le travail, qu’apparaît finalement cette espèce de libération qui fait que l’on se trouve.

 

 HN :    Pourquoi avoir fait du bronze votre matière fétiche et de la sculpture sa forme de prédilection ?

 

PB :     La sculpture est vraiment venue par hasard. C’est quand j’ai quitté la pub, le graphisme et la confection d’affiches que j’ai commencé à faire de la peinture. Au début je m’escrimais à faire des kilomètres de peintures mais je n’arrivais pas à mettre autant d’intensité dans ces tableaux grands formats que ce que je mettais dans mes petits cahiers de dessins ou d’aquarelles (parce que j’usais beaucoup de petits cahiers de dessins)

Il se trouve qu’à l’époque ma fille était dans des cours de poterie où elle y faisait des trucs « vachement » marrant en terre cuite, ainsi c’est en y participant que je me suis mis à faire des objets en terre avec elle. C’est là que ma galeriste est intervenue et m’a dit que je devrais refaire ces petites poteries mais en beaucoup plus grand, parce que c’était « vachement » bien. Et c’est donc à ce moment là qu’on peut dire que la sculpture est apparue.

En effet alors que je m’obstinais comme une brute à faire des tableaux, des tartines de deux mètres sans jamais arriver à dévoiler cette légèreté que contenaient mes cahiers d’aquarelle, que très paradoxalement cette légèreté si fondamentale est apparue dans ma sculpture. Alors même que je n’avais jamais abordé ce support, ne m’y connaissant pas.

Et d’ailleurs c’est peut-être justement parce que je n’y connaissais rien, que je n’avais aucune inhibition dans la sculpture que c’est apparu si facilement. Ceci expliquant alors que j’étais nettement plus inhibé en peinture.

Pour revenir sur ce choix du bronze, il vient fonder la conception même de mon travail. Le sens en est qu’ayant envie d’inscrire dans l’histoire de l’art des symboles  forts de l’enfance je trouvais intéressant d’y amener le bronze. L’idée de rattacher toute cette « petite » histoire à un instantané d’enfance à cette grande histoire du bronze me paraissait intéressant. Et c’était donc pour moi vachement intéressant d’aborder mes œuvres avec ces idées.

 

 HN :    Comment travaillez-vous ? Comment s’élabore une de vos œuvres ? On se laisse imaginer que peut-être vous passer de vos petits cahiers (à une dimension) à vos sculptures (à trois dimensions), est-ce le cas ?

 

PB :     En fait je ne passe pas d’une dimension à une autre, j’ai l’objet en tête.

Donc à partir du moment où j’ai l’objet en tête, où j’ai la sculpture en tête, où cette sculpture qui trotte dans ma tête s’inscrit dans mon histoire, je la laisse tourner dans cette dernière. Quand elle s’inscrit dans le concept que je fais, qu’elle ne devient pas une simple anecdote, alors à ce moment là il y a une envie de la faire et je la fais.

Pour moi la sculpture, le fait de la faire est une exécution. Le travail est dans la tête, il n’y a pas de dessin, c’est une envie, un désir, à partir du moment où elle tourne rond.

 

 HN :    Est-ce qu'on peut vous demander qu'elle est votre œuvre préférée ou celle que vous avez eu le plus de plaisir à créer, et pourquoi ?

PB :     En fait c’est difficile de répondre parce chaque œuvre, chaque sculpture est un moment préféré, alors du moment où je la conçois et où donc je la fais, je l’adore.

La question du temps dans l’élaboration d’une de mes œuvres est « vachement » importante, et pas sans lien non plus avec celle du plaisir. Par exemple lors du temps de la fabrication où paradoxalement pratiquement je l’oublie, ou quand vient le temps de sa transformation où apparaît un nouveau plaisir, celui de la voir réalisée.

Généralement je la visualise depuis le début, mais il se déroule 4 à 5 mois si on doit mettre bout à bout les différentes étapes de sa fabrication.

Ces différentes manières de concevoir les phases de naissance de mes œuvres sont ces différents temps : le temps où je la conçois, le temps de la fabrication pour moi et le temps de la fabrication en bronze. Et c’est à partir de ce troisième temps, de ce troisième plaisir que la sculpture arrive finie.

C’est vrai que j’ai le plaisir de la voir réalisée, mais à partir même de ce moment je suis passé à autre chose dans ma tête et mon plaisir est déjà dans la sculpture suivante.

 

HN :   L'humour et la dérision du monde qui nous entoure semblent être certains des leitmotivs de votre œuvre, c'est important de pouvoir rire de tout ? 

PB :     Oui aujourd’hui plus que jamais.

J’aime le thème de l’enfance qui est intrinsèquement lié au fond de mon concept. Mais aussi dans chacune de mes sculptures, j’aime qu’il puisse y avoir plusieurs lectures. Et ce que j’aime encore plus c’est lorsque la première apparence d’une de mes œuvres est extrêmement facile, extrêmement ludique et donc extrêmement libre.

En effet plus la forme est ludique et facile, moins on peut trouver du sens dans l’idée de recourir à un message caché dans l’œuvre. Car je trouve que l’idée de véhiculer un message est conne, je n’ai pas particulièrement de message à donner. Je préfère raconter une histoire.

Et donc plus la forme est facile et ludique d’accès, plus la deuxième lecture qui n’apparaît pas par sa simple forme apparaîtra par son sujet. C’est dans ces circonstances quand il n’est plus question d’anecdote que je peux faire la sculpture.

Par exemple quand je vais faire des jouets, comme les ballons en équilibre, c’est une sculpture « archi » facile, ludique, qui va beaucoup plaire à un grand monde. Il y a une sorte de liberté dans la lecture de cette œuvre. En parallèle de cette liberté est cette question de l’équilibre, (même si on peut dire que l’interprétation est un peu facile) cet équilibre que l’on retrouve dans la sculpture n’existe pas dans la nature puisqu’on ne peut avoir des ballons qui tiennent d’une telle façon. On retrouve une espèce de dualité, de réalité qui mêle en même temps les notions d’équilibre fragile impossible et de liberté. On sait que cela ne tient pas et c’est cela qui en fait pour moi un instantané, un instant d’un moment, un instant de plaisir comme figé. Voilà pour moi ce qui est très excitant, jubilatoire.

Quelle est la question déjà ?

 

HN :    Celle de la dérision

 PB :     Alors oui autre chose qui est important dans la sculpture c’est son rapport à la matière, celle du bronze.

 

Quand on fait des bronzes, normalement on a tout de suite une vision académique de ce dernier. Que ce soit par ces chaires ou par sa longue histoire, il est difficile de faire quelque chose.

Et donc justement le fait d’utiliser cette matière de bronze, qui est onéreuse et qui nécessite énormément de main d’œuvres et d’étapes, pour faire une maison avec un chapeau pointu et de la fumées qui s’en envole, moi je trouve çà très excitant. Voilà, c’est là qu’on retrouve aussi une part de dérision, de dérision de par le sujet. Mais aussi par un ensemble de choses qui fait qu’il y a une raison à ce long processus, oui, je donne une raison à tout, rien n’est gratuit, sinon ce ne serait qu’anecdotique.

 

HN :     Est ce que vous voulez faire passer un message avec votre travail ?

PB :     Non, il n’y a pas de message. Mon truc c’est d’assouvir mon plaisir et d’essayer de vivre avec ce que je sais faire le mieux, c’est à dire, être artiste. Donc je fais ce que je peux avec ce que j’ai. Je n’ai pas en tête de « il faut ». Je ne désire pas et je ne travaille pas pour la postérité.

Je travaille pour le moment présent, je m’en fou de ce qui se passe après. On peut fondre mes bronzes, par exemple pour en faire des canons… « Rien ne se perd » et « après moi le déluge ».

 

HN :   Est ce que l'œuvre d'un artiste doit toujours se faire le reflet de la société dans laquelle il évolue ?

PB :     Je dirais encore une fois qu’il n’y a pas de « il faut » en art. Justement c’est un des derniers bastions de notre société démocratique qui permet à l’artiste d’être libre.

Il n’y a pas de « il faut » se servir d’un support plus qu’un autre, il n’y a pas de « il faut » être plus conceptuel que pas conceptuel, il y a pas de « il faut » avoir un message ou pas de message, il y a pas de « il faut » non plus de société par rapport à la société.

La difficulté pour un artiste est dans la possession de cette liberté là, il n’y a pas de limitation dans les supports, ni dans le sujet, ni dans rien.

Donc finalement la question de l’œuvre devant être toujours le reflet de la société devrait être posée dans le sens inverse. C’est le reflet d’un artiste qui va forcement être le reflet d’une certaine facette de notre société. C’est justement çà qui fait qu’un artiste sera intéressant.

Le reflet que nous donne un artiste par rapport à sa vie, son vécût, son âge, est forcement le reflet d’une société et donc on aime ce reflet là ou on ne l’aime pas.

Mais ce n’est point le contraire, un artiste ne se met pas à sa table, à son boulot, en se disant qu’est ce que je vais bien pouvoir faire par rapport à ce qu’il se passe aujourd’hui ou alors, ce sera vraiment son concept de travail. Et il travaillera autour de l’actualité. Chacun à son truc. Il n’y a pas de « il faut ».

 

HN :    Est-ce que le monde de l'art a changé aujourd'hui depuis que vous œuvrez? 

PB :     Le monde de l’art a radicalement changé depuis que je le connais c’est-à-dire depuis les années 80. Oui, tout a radicalement changé. Les règles ne sont plus les mêmes, tout est en pleine évolution, le marché est en pleine évolution en France, et je serais bien incapable de dire ce que çà va devenir.

 

 

HN :   Pour vous quel est le rôle de l'art dans notre société actuelle ? A-t-il changé depuis ?

PB :     Le rôle de l’art c’est justement un des derniers « trucs » qui restent, qui est libre, qui est gratuit, qui est dans la rue… C’est dur d’y répondre.

Répète-moi la question ?

 

HN :    Le rôle de l’art ?

PB :   Le rôle de l’art c’est l’idée qu’on revient au plaisir, à l’artiste… On revient alors au seul message possible (et là je réponds à la question du message plus haute) c’est le plaisir de le faire, d’être artiste, le plaisir de faire cette sculpture, de l’accrocher, de l’acheter, de l’avoir chez soi. Donc finalement ce qui relie tout ca c’est le plaisir et c’est un truc qui ne sert donc à rien… On ne peut pas rouler avec, ni repasser ces chemises, ni se raser, ni appeler personne, mais on a du plaisir à l’avoir chez soi.

C’est pour ca que c’est important la question de la transmission, quand tu fais quelque chose ce doit être chargé de plaisir, on s’en fout que çà soit une vidéo, une caisse à savons ou une sculpture en bronze, on s’en fout du support, c’est le plaisir qu’on a à le faire, que çà soit dans un truc dramatique ou non, il peut exister n’importe où, comme dans quelque chose traité avec humour.

En parlant de dramatique c’est vers ce chemin que j’avais choisi de bifurquer au tout début quand j’ai commencé à travailler. Choisissant le drame, j’étais plutôt dans des choses noires, dures, sombres. Mais finalement je me suis rendu compte que ce n’était pas moi. Oui je peux voir les choses comme çà, mais je suis plutôt quelqu’un de joyeux, de gai et qui aime le plaisir. J’ai choisi de raconter les mêmes choses que l’on raconte dans le drame mais dans une version joyeuse. C’est plus marrant que les choses soient ludiques et qu’elles rentrent chez les gens sous-tendant ce même message. Plaisir, plaisir…

HN :    Qu'est ce qu'il faut vous souhaiter pour l'avenir ?

PB :     Que cela continue...